Paul, 39 ans, cisgenre et bisexuel

Je m’appelle Paul, je suis un homme cisgenre de 39 ans, père de deux enfants et je suis bisexuel.
Le fait d’admettre ma bisexualité n’a jamais été problématique à mes yeux, dans mon intimité je n’ai pas eu de honte à aimer les personnes de même sexe, mais ça a pris une autre dimension ces dernières années.
Le commencement est difficile à situer. J’ai le souvenir d’avoir été heurté par l’homophobie latente des enfants de mon âge à l’école primaire et l’assimilation d’un danger, d’un risque. J’ai eu une enfance heureuse, et je n’ai pas été victime de violences sexuelles, et j’ai su me défendre quand il le fallait. D’autres garçons aiment rabaisser les autres en faisant courir le bruit d’une homosexualité fantasmée, allant parfois jusqu’au harcèlement. Je suis un gamin timide et complexé et mes premiers pas dans la sexualité sont compliqués. J’ai déjà compris que j’ai des attirances un peu différentes des autres ados, dans mon rapport aux femmes, comme aux hommes, en particulier le corps masculin.
Je sors de l’adolescence et de l’âge des découvertes en étant hétéro (tout du moins en apparence), une relation longue avec une sexualité pleine de découvertes, de l’amour et de la bienveillance. J’ai du mal à être complètement épanoui. Les choses sont très claires dans mon esprit, je sais que j’aurai une expérience avec un homme. Je sais que ça fait partie de mon imaginaire fortement influencé par l’amour libre et les idées libertaires. La rupture qui arrive inévitablement va servir de révélateur, internet est devenu accessible et je me retrouve facilement dans l’appart d’un mec à qui je plais : Embrasser un homme provoque en moi des sensations très agréables, le reste aussi, examen validé.
Deuxième âge de découverte. Pour mon entourage, je suis hétéro, mais quand l’occasion se présente, je couche avec des partenaires des deux sexes. Cette période est follement épanouissante, mais présente aussi un vrai défaut : il me manque quelque chose, de l’affection, l’amour. Et je ne sens aucun amour dans les bras d’un homme, ni dans ceux des rares femmes que je fréquente à l’époque.
Troisième âge de découverte : la maturité. Je rencontre ma compagne, celle avec qui je vis depuis quinze ans. Dès lors, je range ma sexualité dans un tiroir bien que le désir d’homme revienne régulièrement à la surface. Le besoin de me confier se fait plus pressent, je vois le temps passer, mes enfants naissent et grandissent, des proches disparaissent. Malgré tout, le moment ne se présente pas, je ne trouve pas le courage ou alors le besoin n’est pas encore si fort. Il faudra une pandémie pour faire bouger les choses.
Durant les années 2010, je découvre les outils de mon émancipation : des conceptions du couple, de la sexualité, tout a un nom. Quand arrive le confinement, que je vis affreusement mal, je ressens le besoin de passer un cap. Et un soir, je balance tout à ma compagne qui ne s’attendait pas à ça mais qui s’est montrée formidable. Dans les semaines qui suivent, je me sens incroyablement bien et le dialogue qui s’en est suivi a redonné un nouveau souffle à notre couple, déjà sain auparavant. Je prends aussi conscience que j’ai une légitimité à me revendiquer LGBT, malgré tout je reste discret.
Six mois plus tard, je m’écroule et sombre dans une dépression. J’ai le sentiment que mon coming-out est un coup d’épée dans l’eau ne me menant nulle part et m’ayant physiquement couté énormément. Si j’ai trouvé un soutien moral sans faille, je ne suis pas réellement compris. J’ai des pensées suicidaires et c’est un moment très dur. Ma sexualité est un fardeau et je n’envisage plus de me satisfaire de la seule composante hétéro de celle-ci. En même temps, je ne veux pas faire exploser une famille en plein vol, le poids de la culpabilité est gigantesque. C’est une période de remise en question profonde, de ce qu’est le couple, j’ai aussi des outils intellectuels à ma disposition qui permettent d’alimenter un dialogue. L’épisode dépressif s’estompe, et ça va mieux aujourd’hui.
J’aurais sûrement dû le dire à ma compagne le premier jour, mais elle ne serait pas restée, alors que 15 ans plus tard, ça nous unit plus que jamais. Paradoxes… si j’avais dû faire les choses autrement, je ne serais pas l’homme que je suis. Ça serait mentir que de dire que je n’ai pas de regrets, je regrette en particulier de ne pas avoir eu le courage de m’affirmer haut et fort à 15ans. Et pourtant, si j’ai ce courage aujourd’hui, je n’en ressens plus le besoin. Paradoxes…
Mes yeux se tournent vers l’avenir. Je voudrais être épanoui et libre dans ma sexualité, sans blesser personne. Peut-être que dans cinq ou dix ans, j’aurais une relation parallèle sans tromperie ni trahison. Je pense que mon salut se trouve dans le concept de ma monogamie éthique. Étrangement, en voyant les autres couples se cracher les uns après les autres autour de moi, je trouve que l’idée prend du corps et c’est au cœur de certaines discussions de couple.
Je ne remercierai jamais assez les jeunes des années 2000/10 qui osent s’affirmer et les intellectuels qui ont fourni tant d’outils pour comprendre et formuler son identité. (Et ma compagne qui est toujours là)