Joe : homosexuel, puis bi

Joe : homosexuel, puis bi


Découvrons ici le témoignage de Joe. Persuadé d’être homosexuel, Joe découvre à la trentaine une nouvelle facette de sa sexualité. Un gay ayant « refoulé » son attirance pour les femmes… Le genre d’histoires qui prouve qu’il n’y a pas d’ordre établi ou de logique à respecter.

Passer par la case homo avant d’en arriver à l’espace bi est rare, mais ça a un avantage : on a déjà déconstruit un maximum les attentes de la société

Il y a vingt ans, j’aurais pensé qu’à quarante ans la vie est derrière soi mais je réalise qu’en fait c’est une phase où l’on peut profiter à fond puisqu’on est enfin débarrassé des complexes de jeunesse.

Joe, merci d’avoir accepté de raconter ton histoire, peux tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 37 ans, célibataire sans enfants. Je sais depuis l’enfance que je suis attiré par les hommes. Dans la cour du lycée, mon intérêt se portait plus sur des gars que sur des filles même si certaines étaient très belles à regarder. C’est donc tout naturellement que je me suis dit homosexuel et que j’ai fait mon coming out aux amis du lycée d’abord, aux amis étudiants ensuite, aux amis du travail plus tard, aux amis des amis enfin… J’étais donc homo « out » et sans ambigüité jusqu’au milieu de ma vingtaine.

A quel âge tu t’es posé des questions ? Quelle forme ça a pris ? En as tu parlé ?

Entre le lycée et la fac, j’avais éprouvé un trouble fort pour quelques filles avec qui j’étais très complice. C’était réciproque, je le sentais bien. Mais je m’identifiais comme gay alors j’ai mis des barrières et j’ai tout refoulé. En plus, mon attirance était romantique sans désir physique (sans désir physique conscient, en tout cas). Je n’étais sans doute pas assez libre dans ma tête pour aller au-delà de ces amours platoniques.

Puis j’ai rencontré pas mal de personnes fluides sexuellement : des bi romantiques, des bi sexuel.le.s, des bi-curieux.ses, des un peu flexibles… Bref des preuves vivantes que l’attirance pour un genre, un petit peu, beaucoup ou à la folie, ne supprime pas forcément celle pour un autre genre. Ces personnes m’ont indirectement aidé à prendre conscience de certaines choses.

A la fin de la vingtaine, j’ai à nouveau rencontré une fille avec laquelle je m’entendais super bien. Une collègue avec qui j’ai eu des rapprochements physiques : Il arrivait qu’on s’embrasse. Cela se faisait tout naturellement mais n’allait pas plus loin. C’était très agréable et même excitant, à ma surprise. Pour autant, je demeurais trop coincé dans mon identité gay pour tenter plus. Donc il ne s’est rien passé d’autre entre elle et moi. On s’est perdus de vue mais la boite de pandore était ouverte. Je voulais en savoir plus sur comment ça se passe avec une fille.

Quelles ont été tes premières expériences ?

J’ai fini par passer une petite annonce dans la colonne «rencontres» d’un journal ou parfois des couples cherchaient des gens pour des plans à trois. Comme j’étais très impressionné par l’idée de coucher avec une femme, je me disais qu’un homme dans l’équation me rassurerait. Et son corps à lui était sûr de m’exciter.
J’ai ainsi rencontré ma première partenaire et son compagnon. On était tous novices et stressés. Malgré cela on s’est bien entendus et on s’est bien amusés. C’était assez étrange d’avoir entre les mains un corps de femme. Ce n’était pas désagréable. C’était même très plaisant de lui donner du plaisir (j’avais essayé de me documenter, merci internet). Il n’y a pas eu pénétration – j’en étais incapable, pétri par le stress – mais ça m’a donné envie d’approfondir. Nous avons essayé de nous revoir. Hélas, les plannings ne collaient jamais puis la distance a eu raison de nous.

Il y a eu quelques autres tentatives de trio. C’était plus ou moins réussi selon que l’on prenait le temps de faire connaissance ou pas. Puis un jour j’ai sauté le pas avec une femme seule. J’ai apprécié de lui donner du plaisir mais j’étais trop stressé pour en prendre moi-même. C’est ainsi que je suis allé de partenaires occasionnelles en partenaires occasionnelles, avec curiosité et envie d’apprendre. Je n’étais pas aussi à l’aise avec les femmes qu’avec les hommes. Souvent, je donnais du plaisir de diverses façons mais je perdais en vigueur dès que la partenaire tentait de m’en donner elle aussi. Du coup il m’arrivait de douter de mon intérêt pour les filles. Mais ma curiosité ne me lâchait pas, alors je continuais de chercher.

Jusqu’au jour où j’ai rencontré une fille chez des amis. « A l’ancienne ». On a pris le temps de se connaitre en faisant des sorties, on s’est raconté nos vies, et quand je me suis senti prêt et à l’aise nous sommes passés à l’acte. Ça a été hyper simple, fluide, beau, naturel. La mécanique fonctionnait parfaitement. Je réalisais avoir juste besoin d’établir une vraie complicité pour être tout à fait détendu, pour profiter et faire bien profiter. Comme ça avait été le cas avec mon premier copain. Du coup, je conseille souvent aux personnes qui découvrent leur bisexualité de franchir le pas avec une personne en qui elles ont confiance, une personne qui leur plait physiquement et psychiquement. Foncer tête baissée avec le premier ou la première venue peut conduire à une expérience décevante.

As-tu officialisé ceci à ton entourage ?

J’ai officialisé progressivement.
Comme un présage, lors d’une conversation avec des amis, j’avais évoqué «la possibilité, si jamais un jour une fille me plaisait, de tenter l’aventure». A ce moment là c’était encore très hypothétique pour moi. Mais ces amis m’ont estampillé «bi» assez vite et j’ai pu parler avec eux des filles qui me plaisaient. C’était un premier pas libérateur.

Puis quand j’ai commencé à expérimenter concrètement, je me suis confié à d’autres ami.e.s . La plupart étaient surpris car j’étais exclusivement gay depuis toujours. Mais la nouvelle a été plutôt bien intégrée.

Aujourd’hui, sans le crier sur les toits, je ne me cache plus d’aimer les filles et les garçons. Tous mes amis sont au courant et ont pris le pli très vite. Ça a crée une couche de complicité supplémentaire avec mes amis hommes hétéro, je peux voir les choses de deux cotés (le leur et celui de leur mec) quand je parle à mes amies hétéro. Par chance, être bi ne m’a pas éloigné de mes amis homo. Enfin, je découvre qu’il y a bien plus de bi qu’il n’y parait, et qu’il suffit d’être à l’aise avec cela pour qu’ils et elles vous disent «tu sais moi aussi j’ai déjà…»

Mais je reste discret dans le cercle familial : On est très très très religieux et conservateur par chez moi. Je n’ai jamais fait de coming out homo à la famille élargie et cette info demeure un trauma auprès de mes parents depuis vingt ans. Déjà que l’homosexualité a du mal à passer, la bisexualité viendrait pour eux d’une autre planète. Ou alors ça serait un moyen pour eux de nier la partie de moi qui aime les hommes. Or cette partie-là, j’y tiens.

Tu parles de religion, j’imagine que cela a du énormément jouer dans ton enfance ou adolescence. peux tu nous décrire comment tu as composé avec ceci ?

Oui, j’ai eu une enfance ultra religieuse et très stricte sur les notions de bien et de mal. J’étais bien intégré à l’école, j’avais plein d’amis, mais je comprenais bien que j’étais plus sensible et féminin que les autres. Il y avait quelques plaisanteries pas méchantes à ce sujet. Rajoutez en plus que j’étais conscient de mon intérêt pour les hommes, ça vous fait un petit qui à 6 ou 7 ans se sent déjà homosexuel.
En plus je me souviens d’avoir fait le choix à l’adolescence de renoncer à aller au Paradis puisque « j’aimais les hommes », ce qui était un péché. La bisexualité était une zone trop grise pour mon esprit très binaire de l’époque.
C’est vers l’âge de 20 ans, quand les milieux militants ont arrêté de parler de personnes « gay et lesbiennes » pour parler de « personnes LGBT » que j’ai compris qu’il y avait vraiment des gens qui aimaient plus d’un genre. Pourtant avec le recul, je jouais à des jeux d’enfant pas si innocents avec des petites filles et des petits garçons.

Mais je dirais que ma prise de conscience intime est arrivée à un moment où, études finies et vie professionnelle établie, je me suis enfin intéressé à ce que j’attendais de ma vie et non à ce que les gens attendaient de moi.

Quel est ton équilibre actuel et est ce qu’il te convient totalement ?

J’ai été en couple avec plusieurs hommes et quelques femmes mais je suis aujourd’hui célibataire. J’ai des partenaires sexuels des deux sexes, plus ou moins réguliers, qui sont tous et toutes au courant de mon orientation. Je clarifie toujours la chose assez vite. Etre bi n’est pas honteux donc je ne me cache pas. Par ailleurs je ne veux pas donner mon énergie et mon attention à des personnes biphobes. Du coup j’ai moins d’opportunités mais elles sont plus compatibles avec qui je suis.
Je ne ferme pas la porte à un couple classique, tant qu’on a une discussion sans tabou au sujet de l’exclusivité sexuelle – qui n’a évidemment rien à voir avec l’orientation sexuelle. Je perds tout intérêt pour les autres personnes lorsque je suis vraiment amoureux de quelqu’un. Mais avec le temps l’exclusivité sexuelle comme ciment du couple m’apparait peu viable sur le long terme.

Par contre je me sens de plus en plus en phase avec les notions de couple libre ou de poly amour. Bien que célibataire, je développe avec mes partenaires actuels des relations transparentes et de grande confiance tout en jouissant d’une belle indépendance. Je ne sais pas si j’aurai le coeur à renoncer, dans le but d’épargner la jalousie d’un nouvel amour, à ces personnes qui m’apportent chacune une joie différente. Mais tout cela est très théorique. Je verrai ce que me réserve l’avenir.

Qu’est ce que tu pourrais faire différemment si tu devais donner un conseil à toi plus jeune ?

Si je devais refaire des choses, je m’autoriserais à aller vers toutes les personnes, filles et garçons, à qui j’ai plu mais que j’ai fui. Fui par peur ou par manque de confiance en moi. J’aurais gagné beaucoup de temps à écouter mes envies au lieu d’écouter ma raison – d’autant plus qu’elle avait tord, ma raison. Elle se limitait par ce que notre modèle judeo-chrétien permet au lieu de se baser sur mes idéaux à moi.

Si je devais donner un conseil au jeune moi-même, je dirais n’oublie jamais que «les hommes sont des femmes comme les autres».

Quelles ont été tes souffrances ou point de satisfaction ?

Je regrette d’avoir attendu la fin de la vingtaine pour penser autrement et écouter ce qu’il y avait en moi. Mais je suis ravi d’avoir pu le faire assez tôt pour aborder la quarantaine de façon réellement épanouie. Il y a vingt ans, j’aurais pensé qu’à quarante ans la vie est derrière soi mais je réalise qu’en fait c’est une phase où l’on peut profiter à fond puisqu’on est enfin débarrassé des complexes de jeunesse.

Passer par la case homo avant d’en arriver à l’espace bi est rare, mais ça a un avantage : on a déjà déconstruit un maximum les attentes de la société, on a moins peur de ce que les gens vont penser, on est prêt à faire les choses selon sa propre volonté – et celle des partenaires, évidemment.

Je m’étais construit en opposition au modèle dominant pour pouvoir accepter mon homosexualité. Casser cette construction pour accepter ma part de bisexualité a pris du temps, de l’énergie, plein de rencontres et un psy génial. Mais j’ai pu observer que c’est également dur de quitter le confortable modèle hétéro dominant pour embrasser sa bisexualité, le sujet étant encore assez tabou, sauf pour les toutes nouvelles générations.

Est ce que tu as déjà été mal jugé ? Quelles types de réactions tu peux avoir parfois (en bien ou moins bien..) ?

J’ai droit à très peu de réactions négatives. Il y a parfois les personnes qui en entendant «bi» pensent «gay». C’est une forme d’ignorance qui me blesse parfois mais j’essaye d’aller au delà de ça. Les étiquettes n’engagent que ceux qui les mettent et ceux qui en ont peur. Je pense notamment aux bi qui tiennent à ne surtout pas passer pour gay, par peur du stigmate social et pou rassurer leur virilité.

J’ai aussi connu des filles qui, alors qu’elles ont elles même des tendances ou des expériences bi, refusent de sortir avec des hommes bi. Chacun ses choix mais j’y vois une conséquence du patriarcat. Et je pense qu’il faudrait que plus de personnes bi, notamment hommes, osent sortir du bois pour qu’on en finisse avec l’hypocrisie.

Par contre je suis très heureux des réactions de mon entourage. Ils ont intégré la nouvelle avec beaucoup de naturel. Et je sens que leur en parler permet de faire sauter des digues dans leurs têtes. Sans forcément les faire changer d’orientation sexuelle, mes discussions avec eux ouvrent vers des visions moins caricaturales du masculin et du féminin. L’époque aussi permet cela, sans doute.

Qu’est ce que tu souhaiterais idéalement dans 5 à 10 ans ?

Dans 5 à 10 ans j’aimerais beaucoup avoir une vie amoureuse sereine, une vie de famille paisible, une vie sexuelle aventureuse, une vie sociale bouillante, une vie intellectuelle riche, avoir quelqu’un sur qui compter indéfectiblement et qui compte sur moi de la même façon… C’est très ambitieux et c’est sûrement beaucoup demander à un.e seul.e partenaire.
En bon pragmatique, je veux bien distribuer les taches entre plusieurs personnes. A elles de ne me charger que des besoins que je peux combler et d’attendre le reste d’autres personnes. Je m’en sentirais plus heureux que jaloux, plus soulagé qu’inquiet, plus chanceux que vexé.


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